Lorsque nous croisons une personne en grande difficulté dans la rue ou que nous voyons des images de familles pauvres à la télévision, nous pouvons parfois peiner à trouver les mots justes pour répondre aux questions de nos enfants. Comment expliquer la pauvreté et les inégalités sociales ? Faut-il en parler dès le plus jeune âge ? Comment inviter notre enfant à ne pas avoir de préjugés ? On fait le point avec Marie-Aleth Grard, présidente honoraire d’ATD quart monde.
Combien d’enfants sont concernés par la pauvreté en France ?
Aujourd’hui en France, trois millions d’enfants vivent dans une famille se trouvant sous le seuil de pauvreté. Et 1,6 millions sont en situation de grande pauvreté, c’est-à-dire une précarité dans tous les domaines des droits fondamentaux : le logement, la santé, etc. C’est donc une réalité qui concerne énormément d’enfants.
Or si dès le plus jeune âge, on a vécu des moments de jeux et d’apprentissages ensemble, avec des gens d’univers différents, cela construit des adultes qui se respectent. C’est vraiment une clé pour transformer notre société. Il suffit parfois d’un moment fort de partage avec des gens de milieux très différents pour que cela vous transforme.
Est-ce important de parler de pauvreté aux enfants ?
Bien sûr : comme les adultes, les enfants rencontrent dans leur quotidien des personnes de différents milieux. Et pour oser les rencontrer, créer le dialogue, il faut les connaitre. C’est donc important d’aborder le thème de la pauvreté avec les enfants qui ne sont pas touchés directement. Il faut prendre le temps de s’en parler pour qu’ils comprennent que des enfants et des adultes ont un quotidien différent d’eux et qu’ils aient envie de les rencontrer.
Offrir à tous les enfants l’opportunité de rencontrer des personnes de leur âge qui viennent de milieux divers est essentiel à leur développement. En découvrant des réalités différentes, ils cultivent la tolérance, l’empathie et la coopération. Cela favorise également une plus grande ouverture d’esprit et une meilleure compréhension des défis que d’autres enfants peuvent rencontrer.
Quand nos enfants sont confrontés à la pauvreté, en passant devant une personne sans abri par exemple, comment leur en parler ?
Dans 99% des cas, ces personnes ne choisissent pas de vivre à la rue. C’est donc très important, d’abord, d’expliquer aux enfants cela. Leur dire : « comme toi et moi, cette personne voudrait vivre dans une maison ou un appartement. »
De la même manière, si un enfant dit : « je ne veux pas m’assoir à côté de Untel parce qu’il pue », il est important d’expliquer, de mettre des mots sur les situations : expliquer que quand on vit dans un logement insalubre, ou qu’on passe d’hôtel en hôtel, les vêtements mettent longtemps à sécher et l’humidité créé des odeurs. Si l’enfant comprend, il sera en empathie.
Il peut aussi y avoir des préjugés : par exemple, l’idée qu’un enfant en grande pauvreté travaille moins bien que les autres. Là encore, on peut expliquer : cet enfant n’est pas plus bête qu’un autre. Simplement, quand on se demande chaque jour où l’on va dormir, on peut avoir plus de mal à l’école car c’est plus difficile de se concentrer.
Le regard et les mots que pose l’adulte vont donc être très importants pour que les enfants restent ouverts. Mais ce n’est pas si simple pour les adultes d’oser aborder les questions liées à la grande pauvreté. Quand on ne connait pas, on peut nous même avoir un tas d’idées reçues sur les personnes pauvres.
Pourtant, si on prend le temps d’expliquer à nos enfants que certains enfants vivent dans des conditions précaires (un seul repas dans la journée, pas d’espace pour faire ses devoirs, d’autres enfants vont changer d’hôtel toutes les semaines…), les enfants vont très bien comprendre.
Et hormis les mots ?
Il est aussi important de montrer l’exemple : à Lyon, un collectif de parents s’est monté pour soutenir les familles à la rue qui dormaient dans l’école. Comme les adultes ont pris soin de ces familles, qu’ils ont fait preuve d’empathie, aucun enfant n’a rejeté ces enfants en grande précarité. Au contraire, ils ont eux aussi cherché des solutions, à hauteur d’enfant.
On peut aussi participer directement à une action de solidarité pour mettre en pratique et montrer qu’on doit respecter tous les enfants, de quelques milieux qu’ils soient. Car si on a un quotidien à mille lieues de celui des enfants pauvres, cela va être compliqué de tout expliquer par les mots.
J’aimerais aussi dire aux parents que quel que soit le futur métier de leur enfant, d’un métier purement manuel aux plus grandes fonctions, ce qui est important c’est qu’il ait pu, dans sa jeunesse, rencontrer d’autres enfants de milieux différents, jouer avec eux, réfléchir ensemble : cela va leur apporter énormément de choses pour toute leur vie.
À lire
- L’égale dignité des invisibles, Marie-Aleth Grard, éditions Le bord de l’eau
- Et l’on chercha Tortue, ATD quart monde
À découvrir
- La mallette pédagogique Tapori, éditée par ATD quart monde, pour évoquer les questions de solidarité avec les 7-12 ans
- Le kit pédagogique « Comprendre la pauvreté pour mieux la combattre », édité par ATD quart monde










