Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, 700 000 enfants sont victimes de harcèlement en France, soit 5 à 6% des élèves. Emmanuel Guyot, animateur, comédien et formateur, a la sensation que le phénomène est bien plus large : dans la plupart des écoles élémentaires et collèges dans lesquels il intervient, les élèves témoignent avoir été victime, témoin et auteur de harcèlement. Alors que faire ? Comment lutter ensemble, enseignants, parents, enfants, contre le harcèlement ? De la simple discussion jusqu’au théâtre-forum, un outil commun fondamental émerge : la parole.
Vous pratiquez le théâtre-forum avec des enfants et adultes sur différentes thématiques, dont le harcèlement. Comment cela fonctionne ?
En général, il y a une demande en amont d’une école. On nous dit : « Voilà, nous avons une problématique de harcèlement, que peut-on faire ? ». À partir de là, il y a deux manières de faire du théâtre-forum.
La première, c’est d’échanger avec les adultes, et quand c’est possible avec les enfants, pour comprendre la situation et avoir des exemples concrets de faits réellement vécus. À partir de ces histoires réelles, des comédiens de notre compagnie vont préparer des scènes à jouer devant les adultes et les enfants de l’école, ainsi que les parents, si possible.
Ensuite, c’est le jeu du théâtre-forum : on joue la scène une première fois. À la fin de la scène, le joker (l’animateur de théâtre-forum) se tourne vers le public pour décrypter finement la situation : quels sont les mots, les gestes, les faits qui posent problème.
On cherche ensemble quel personnage de l’histoire pourrait faire changer les choses : des propositions sont jouées sur scène, c’est-à-dire qu’un spectateur remplace un personnage (le harceleur, la victime ou un témoin). On rejoue l’histoire. À chaque “remplacement”, on décrypte ce qui a changé, les avantages et inconvénients de la proposition. On alterne ainsi entre décryptage, question, parole et jeu sur scène qui implique corps et émotions. On va chercher des solutions, sur scène.
La deuxième manière de faire du théâtre-forum, c’est de former un groupe d’élèves et d’adultes (enseignants, surveillants…) pour qu’ils puissent être comédiens pour un théâtre-forum. On va créer avec eux un espace intime où l’on va partager nos histoires autour du harcèlement, qu’on ait été victime ou témoin. Ensuite, ils vont préparer de petites scènes. De la même manière, ils vont jouer devant d’autres élèves à l’occasion d’un théâtre-forum où leur rôle pourra être repris par quelqu’un du public.
Comment en êtes-vous arrivé à cette pratique ?
Depuis mes 17 ans, je travaille dans l’animation et l’éducation populaire. Auprès des enfants et adolescents, je me suis rendu compte de l’importance des mots justes, de la vérité, de l’importance de la transparence de la parole. C’est là que j’ai commencé à apporter la pratique du théâtre, en colonies de vacances, en séjours.
C’est la même chose en famille : nos enfants se construisent sur notre modèle à nous, les parents. Plus nous parlons à nos enfants de nous, de nos difficultés, de ce que nous vivons, de nos joies également, plus nos enfants nous parleront. Il faut bien évidemment trouver des mots adaptés à leur âge mais on peut parler de tout avec nos enfants. On peut leur dire « Voilà, j’ai des difficultés au travail avec un collègue, avec mon patron. » Si vous montrez que vous êtes capable de dire cela, vos enfants en seront capables également.
Avec mes enfants, dès leurs quatre ans, nous avons mis en place un outil : le conseil. On se réunit, de manière un petit peu solennelle, pour parler de la vie en famille, expliquer ce qu’on a aimé, ce qu’on n’a pas aimé, ce qu’on aimerait faire. Mon fils, à cinq ans, était capable de me dire : « Quand j’ai renversé la bouteille d’eau et que tu as un peu crié, ça m’a rendu triste. » S’il est capable de s’exprimer ainsi, il ne sera probablement pas victime de harcèlement, ou tout au moins il saura en parler assez tôt pour intercepter le problème.
En théâtre-forum, c’est la même chose : le rôle du joker est d’ouvrir la parole du public. Tout est question de parole.
À la maison, comment réagir si je crois que mon enfant est victime de harcèlement ?
Si vous suspectez quelque chose, la première chose à faire est de montrer à votre enfant que vous êtes disponible pour lui s’il a besoin de vous, s’il a une difficulté.
Vous pouvez lui dire : « Si tu as besoin de quelque chose, je suis là. » Et le répéter ! Il se peut que votre enfant ne dise rien, surtout si la communication n’a pas été établie facilement depuis l’enfance. Dans ce cas, répétez-le, redites-lui à plusieurs reprises que vous êtes là et disposé à l’écouter.
Vous pouvez aussi nommer les changements : dire que vous avez remarqué qu’il était plus triste, qu’il s’enfermait davantage. Ensuite parler de ce que vous ressentez : dire que vous vous inquiétez pour lui.
On peut aussi interroger les copains, pour comprendre quel est le problème et de qui vient le problème.
Ensuite il faut nommer et expliquer les choses : dire que c’est du harcèlement, que c’est puni par la loi et que les conséquences sont graves pour les victimes. Enfin, dire que l’une des manières de le résoudre, c’est d’en parler.
Si le harcèlement est avéré, il faut ensuite alerter et rassembler tous les adultes en lien avec l’enfant : les professeurs, les référents-jeunesse du quartier, les surveillants, etc. Il est important de faire corps.
À l’inverse, que faire si je crois que mon enfant harcèle un autre enfant ?
Dans ce cas, on peut d’abord faire de l’écoute active. C’est un outil qui a pour but d’écouter et d’entendre les raisons, les motivations. Il faut mettre de côté ce que l’on a fait (les actes) et chercher à comprendre pour quelles raisons on l’a fait (les motivations).
Les actes sont répréhensibles, par la loi ou par l’autorité parentale, les motivations ne le sont pas. Avant de rappeler les règles, on va donc essayer de comprendre le processus qui amène l’enfant à faire cela. On va poser des questions : « J’ai vu que tu avais bousculé Maxime et qu’il a pleuré. C’est un jeu ? Ah bon ? Et comment tu te sens quand tu fais ça ? Tu te sens puissant ? D’accord. »
Il y a toujours des choses positives à tirer dans les motivations. À partir de là, on va pouvoir nommer les choses : « J’ai vu qu’il avait pleuré. Ce n’est plus du jeu, c’est du harcèlement. Cela fait du mal et c’est puni par la loi. Mais ce n’est pas un problème d’avoir envie de se sentir puissant, simplement, ce n’est pas la bonne manière. »
Ensuite, vous pouvez trouver ensemble des solutions qui répondent autrement à ses motivations qui, elles, sont légitimes : « Pour te sentir puissant, on peut trouver autre chose, par exemple t’inscrire à la boxe. »
Tout est donc question de dialogue ?
Une partie de mon travail artistique et pédagogique vient de cette question : comment faire pour trouver cette transparence, cette vérité, dans la parole ?
Ce qui est frappant, c’est que nous vivons dans un monde où parler de ses difficultés, c’est être un loser, un faible ou une balance. Je crois que c’est très malsain. Notre rôle, en tant qu’adultes, est d’ouvrir la parole et d’établir une relation de confiance avec nos enfants.
Les ressources éducatives pour accompagner votre enfant :
Le site du gouvernement : Non au harcèlement
Les ressources des petits citoyens :
- Les 10 vidéos « Et si on s’parlait du harcèlement à l’école ? »
- Les activités du programme pHARE #NonAuHarcelement