Parler d’actualité avec mon enfant

Face à des images violentes de guerres, d’attentats ou de catastrophes naturelles, on pourrait être tenté de protéger nos enfants de l’actualité. Pourtant, l’éducation aux médias et aux actualités du monde fait aussi partie de leur éducation. Alors comment parler d’actualités avec nos enfants ? Y a-t-il des sujets à éviter ? Quels outils utiliser ? Et comment faire pour leur donner envie de s’intéresser aux actualités du monde qui les entoure ? On fait le point avec Anne Cordier, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication.

Quel rapport entretiennent les enfants de 7 à 11 ans à l’information et aux médias ?

Le premier sentiment des enfants face aux informations, c’est souvent la peur. Ils soulignent qu’il y a des informations négatives, des images choquantes, et qu’ils ont du mal à les comprendre, voire même à les réguler émotionnellement. Certains disent qu’ils en rêvent parfois, que les images reviennent comme des « flashes », la nuit surtout.

Avant dix ans, les enfants s’informent très peu sur l’actualité, seuls et de façon volontaire. Pour beaucoup, le premier rapport à l’information va être la télévision allumée en permanence. Les parents ont parfois l’impression que leur enfant ne fait pas attention, qu’il fait autre chose pendant qu’eux regardent la télévision. Mais vos enfants sont en réalité captés par les images, qui peuvent être extrêmement violentes quand elles ne sont pas expliquées.

Il y a évidemment des variations selon les milieux sociaux. Les enfants, issus de milieux culturels aisés, ont accès à une presse spécialisée pour leur âge et vont être accompagnés par leurs parents dans leurs découvertes. Pour les enfants, issus de milieux moins aisés, l’accès à l’information va souvent se faire par la télévision, avec un accompagnement moins régulier.

Y a-t-il un âge idéal pour commencer à échanger avec nos enfants sur ces questions d’actualité ?

La tranche d’âge 7/11 ans est un moment où les informations d’actualité s’imposent parce que c’est un âge de compréhension du monde, les enfants sont curieux et s’ouvrent aux autres. Les enfants perçoivent que leur monde quotidien n’est pas isolé du reste, qu’il est lié à un univers plus large que le leur. On est aussi dans le début de la maîtrise de la lecture et de l’écriture, qui va de pair avec ces découvertes.

Bien entendu, il ne faut pas laisser votre enfant seul devant la télévision ou sur Internet : la vision d’images d’actualité doit être accompagnée, voire bénéficier d’un pré-visionnage de votre part quand cela est possible. J’ai travaillé avec des jeunes adultes qui avaient six ou sept ans au moment des attentats du 11 septembre 2001. Ce qui revient très souvent dans leurs récits, c’est le choc d’avoir vu leurs parents avoir peur : l’émotion et l’angoisse des parents leur ont été transmises.

Quand c’est possible, il peut dont être intéressant de visionner les images avant d’en discuter avec les enfants. La preuve par l’image n’est d’ailleurs pas indispensable : on peut choisir de ne pas leur montrer les images, mais d’en discuter.

Comment réagir si notre enfant est confronté à des images d’actualité choquantes ?

Il est important qu’il existe un espace de dialogue. Un enfant qui se retrouve devant des images qui le choquent se sent coupable. En tant que parent, il ne faut donc pas rajouter à cette culpabilité en réagissant par le jugement, la sanction ou le silence. On peut être tenté de réagir comme cela parce qu’on est soi-même choqué. Mais on ne peut pas protéger totalement notre enfant du monde extérieur, ni le laisser seul face à ses incompréhensions. Il faut accepter ce risque qui est inévitable au vu de la rapidité des flux d’information et de la liberté d’information et de communication.

Avant de lui donner nos explications d’adulte, il est important de laisser votre enfant verbaliser ses émotions. Ensuite, on peut utiliser une mappemonde pour localiser l’événement en question s’il ne se déroule pas dans un environnement proche. Avec la mondialisation de l’information, les enfants sont persuadés que tout est arrivé près de chez eux. Il ne s’agit pas de dire à votre enfant que l’événement est moins important parce qu’il est loin, mais il s’agit de le sécuriser. Les jeunes adultes avec lesquels je suis en enquête en ce moment reviennent beaucoup sur ce sentiment lorsqu’ils évoquent les attentats du 11 septembre 2001 : l’un d’entre eux se souvient avoir pris connaissance de ces images, qui tournaient en boucle, alors qu’il prenait tranquillement son goûter au retour de l’école, chez ses grands-parents. Son quotidien d’enfant a été percuté par des images d’une rare violence, qui sont entrées dans son monde. Il raconte combien le temps consacré par son grand-père à lui expliquer l’événement avec des mots simples, lui a fait du bien, notamment le fait qu’on lui ai montré, sur une carte, où se trouvait le pays attaqué, afin qu’il puisse prendre de la distance.

Ensuite, en fonction des questions, on peut expliquer les faits et replacer l’information dans son contexte. Moi-même, lorsque j’étais enseignante en collège, j’ai été, par exemple, confrontée à des jeunes filles qui avaient vu un reportage sur l’excision et étaient très choquées. Je leur ai expliqué qu’en France, cette pratique était interdite et qu’elles avaient des droits qui les protégeaient. Encore une fois, il ne s’agit pas de rendre insensible aux injustices et au monde extérieur, évidemment, mais il est essentiel aussi de pouvoir rationaliser l’actualité et les informations.

Enfin, on peut utiliser les médias adaptés aux enfants comme support. On sort alors de l’émotion pour aller vers l’information et l’éducation aux médias. Ce temps d’explication peut intervenir de manière décalée : une fois l’émotion de votre enfant accueillie, vous expliquez que vous allez chercher un outil pour vous renseigner et lui donner les explications dont il a besoin. On ne peut pas tout savoir, tout de suite, et il est normal aussi que l’adulte lui-même ait besoin de digérer en quelque sorte et l’information qui peut être choquante pour lui aussi, et les émotions et propos de son enfant.

Comment faire pour intéresser nos enfants à l’actualité ?

Il est important de rendre la découverte des informations ludique. Les enfants en ont souvent une vision angoissante : il faut transmettre le plaisir d’informer. L’actualité, ce n’est pas que les guerres. Ce sont aussi des naissances dans les zoos, la découverte d’une nouvelle planète, la victoire d’une équipe de football ou les aventures de Thomas Pesquet dans l’espace. Les enfants sont ainsi sensibilisés à différents événements du quotidien, des métiers, à l’évolution de la connaissance. C’est très enthousiasmant !

Il est aussi important de partir de leur pratique. Dès neuf ou dix ans, les enfants fréquentent les réseaux sociaux et Internet. Vous pouvez être curieux de ce qu’il fait, ce qu’il lit, ce qu’il aime, et vous en servir comme levier de développement des connaissances. Lui demander par exemple d’en parler ensemble : « Cette information, elle vient d’où ? Qui l’a produite ? ». Et puis lui demander « Qu’est-ce que tu aimes dans cette vidéo ? Cette image ? Etc. », sans du tout le juger, sans sous-entendre que vous ne voyez pas l’intérêt de cette pratique. Cette pratique a du sens pour lui ! Et si vous accédez à ce sens, en échangeant avec lui, alors vous assurez un accompagnement qui lui aussi a du sens.

Il faut aussi garder à l’esprit que les enfants agissent par mimétisme : s’il vous voit vous informer, votre enfant va davantage avoir envie lui-même de s’informer. Les adolescents auprès desquels j’enquête font souvent référence aux habitudes familiales en matière d’information, habitudes vis-à-vis desquelles ils situent leurs propres pratiques, habitudes qui incontestablement les influencent.

Je crois aussi qu’il est important de préciser que s’informer sur l’actualité exige de prendre du temps ensemble. Concrètement, si vous souhaitez que votre enfant s’informe, il doit y avoir à la maison des temps consacrés, c’est-à-dire que la « télé tapisserie », mise en fond sonore pendant qu’on mange, pendant qu’on joue, etc., ce n’est pas un temps consacré à l’information d’actualité. Un temps consacré, c’est regarder ensemble le journal (télévisé, en ligne, imprimé) et échanger ensemble à ce sujet.

On peut vraiment prendre du plaisir à s’informer ensemble en famille. Beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes avec qui j’ai travaillé sur ce sujet reviennent sur la sociabilité familiale autour des médias : on se souvient des moments en famille autour de sujets d’actualité, cela créé des souvenirs qui soudent la famille, et les informations sont alors un formidable levier pour créer du vivre-ensemble et du plaisir à être ensemble.


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Anne Cordier est enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rouen. Elle est spécialiste des usages et pratiques numériques, de l’information et des médias des enfants et adolescents.

 

 


Les ressources pour parler d’informations et d’actualités avec vos enfants :

À lire :

  • “Grandir connectés”, Anne Cordier, C&F Editions.
  • “Socialisation des jeunes et éducation aux médias”, Divina Frau-Meigs, éditions Erès.
  • “Le guide de la famille tout écran”, un guide du CLEMI.
  • “L’hebdo” des petits citoyens, un web journal gratuit, toutes les semaines dans votre boite mail et sur notre site.

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