Comment accompagner les enfants dans l’usage des réseaux sociaux, avec Marika Bourdaloue

Sur les réseaux sociaux, les influenceurs et influenceuses captent parfois un public de plus en plus jeune. Face à la demande des enfants de suivre un compte sur un réseau social ou à leur pratique précoce, les parents peuvent se sentir désemparés. Comment réagir ? Comment protéger les enfants de contenus néfastes ? Est-ce que les comptes des influenceurs peuvent apporter du positif ? À l’inverse, ce sont parfois les parents eux-mêmes qui exposent leurs enfants : la moitié des parents ont déjà pratiqué le « sharenting » (compression de « share » et « parenting »), qui consiste à diffuser sur les réseaux des images de leurs enfants. Est-ce grave ? Est-ce légal ? On fait le point avec Marika Bourdaloue, psychologue.

De quelle manière les enfants sont confrontés aux influenceurs ?

Ils peuvent y être confrontés très tôt. Les enfants de quatre, cinq, six ans qui vont sur Internet ont tendance à être attirés par les contenus proposés par des enfants du même âge. En effet, très jeunes, des parents accompagnent leurs enfants dans la création de profils sur les réseaux sociaux. Ces enfants, instrumentalisés par leurs parents, deviennent des influenceurs malgré eux. Le plus souvent, les contenus qu’ils proposent sont liés aux jouets : ils les déballent et les testent à l’image.
Ensuite, les contenus pour les pré-ados vont être beaucoup orientés sur l’image de soi. C’est une période où l’on quitte les certitudes de l’enfance et où l’on est en quête d’une reconnaissance qui va passer par la beauté, l’acceptation de soi et de son corps qui se transforme. Ils deviennent donc un cœur de cible pour les influenceurs.
Le problème, c’est que sur les réseaux on peut modifier son image : lisser sa peau, faire disparaitre son acné, etc. Dans une période dans laquelle il est compliqué de vivre avec son corps, on va donc les faire rêver sur des choses qui n’existent pas totalement. À cet âge de fin de primaire, début de collège, qui est l’âge de la forte exposition aux influences, il faut donc particulièrement les protéger et ne pas les laisser seuls face aux contenus parfois irréels sur les réseaux.

Comment accompagner les enfants dans l’usage des réseaux sociaux ?

L’usage des enfants va beaucoup dépendre de l’exemple qui leur est donné par les parents dans le rapport aux écrans et aux réseaux : les parents qui passent beaucoup de temps sur leur téléphone ont tendance à laisser leurs enfants le faire aussi.
Il ne faut pas dramatiser en disant que tout écran est forcément une mauvaise chose. Le plus important, c’est l’accompagnement et l’éducation des parents dans le rapport aux écrans et aux réseaux de leurs enfants : il est important de partager les premières expériences avec les enfants et de leur expliquer les dangers.
Pour la plupart des réseaux sociaux, il faut avoir treize ans pour se créer un compte. Mais un enfant d’âge primaire est tout à fait en capacité d’y accéder à l’insu de ses parents. Selon moi, les enfants ne devraient pas avoir accès aux réseaux sociaux avant le lycée. En effet, le collège est une période durant laquelle les enfants et les adolescents traversent de nombreux changements physiques et émotionnels, se posent des questions sur eux-mêmes et leur avenir, et sont donc particulièrement influencés et influençables. C’est un âge où ils s’éloignent des parents et c’est important de ne pas les laisser seuls avec un réseau social car ils ne se rendent pas compte de l’impact que cela peut avoir.
Le maitre mot, c’est donc l’accompagnement : quand un enfant veut aller sur internet ou les réseaux, c’est important de discuter, d’expliquer pourquoi on trouve que c’est une mauvaise idée de faire telle ou telle chose, avant d’interdire. En effet, si on interdit simplement l’usage des écrans et des réseaux, le risque c’est de les rendre encore plus attractifs.

Quelles sont les conséquences de cette exposition ?

Plus un enfant est exposé tôt aux influenceurs, plus il sera influençable puisque cela fera partie de son fonctionnement.
Le risque, notamment pour les pré-ados, c’est qu’ils se laissent illusionner et que ces gens – qui les font rêver et qui ont des vies qui n’existent pas toujours- leur fassent sentir que c’est mal d’être différent. On voit aussi des influenceurs qui promeuvent des remèdes miracles contre l’acné par exemple qui peuvent être dangereux pour la peau des enfants.
Il y a aussi un risque de sexualisation précoce, c’est ce qu’on voit avec les « Sephora kids », qui font très tôt des tutos maquillage ou beauté : le maquillage, c’est l’apparat de la maman, de la beauté, de la séduction. Commencer très jeune à se parer d’attraits en lien avec la séduction risque de créer un décalage avec le niveau de maturité qu’on peut avoir à cet âge-là. Et de l’autre côté, si on ne le fait pas on peut avoir peur d’être rejeté, de « passer pour un bébé » ce qui est une grande crainte pour les enfants en grandissant.
Il y a toujours des enjeux d’inclusion à faire comme les autres pour être accepté dans un groupe. Les influenceurs ont en réalité toujours existé dans les cours de récréation : ce sont ceux et celles qu’on appelle « les populaires ». Mais à la différence des influenceurs sur les réseaux, les « populaires » on les voit, on connait leur réalité, on voit leur parents le soir à la sortie de l’école, etc. Les influenceurs eux peuvent s’inventer une vie. Et d’ailleurs on voit que certains enfants qui vont très mal deviennent influenceurs pour se réfugier dans ce rôle.

Que peut-on faire en tant que parent ?

Les parents sont souvent déstabilisés, démunis et se sentent souvent seuls face aux enfants accros aux réseaux sociaux. Je tiens d’abord à les déculpabiliser : chaque parent fait de son mieux et a besoin d’être aidé pour pouvoir être en capacité d’aider ses enfants. S’il se sent en difficulté, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, à se parler entre parents, à trouver des solutions ensemble.
Pour les plus jeunes, on peut essayer de proposer des alternatives. Si votre enfant aime les vidéos d’enfants qui déballent des jouets, vous pouvez proposer de vous rendre en magasin pour choisir un jouet. Bien sûr, c’est plus compliqué pour le parent puisqu’on prend le risque de gérer la frustration ou une crise en magasin, mais ce sont aussi ces moments qui vont permettre à l’enfant de se confronter à la question du choix et de la frustration. Aller découvrir les jouets en magasin va être beaucoup plus enrichissant : cela va lui permettre d’imaginer ce qu’il peut faire avec, ceux qu’il préfère, plutôt que d’être soumis au contenu des influenceurs. Contrairement au visionnage de vidéo où il est influencé, là il va apprendre à prendre ses propres décisions.

Ensuite il y a des petites choses qu’on peut mettre en place au quotidien. Par exemple, le parent peut lui-même montrer ses propres réseaux sociaux en expliquant à l’enfant : « Ça, je le fais. Ça, je ne le fais pas et pourquoi ». Le fonctionnement par l’exemple est celui qui marche le mieux. « Fais ce que je dis pas ce que je fais », c’est le pire.
Pour les plus grands, une fois qu’on a accepté que notre enfant ait un réseau social, on peut l’accompagner la première fois sur ce réseau, découvrir ensemble comment cela fonctionne et alerter sur les dangers, comme les messageries privées où les enfants peuvent se retrouver confrontés à des adultes qui se font passer pour des jeunes de leur âge et qui leur font du chantage, leur demandent d’envoyer des photos, etc. On peut dédier un temps dans la semaine où on regarde ensemble ses réseaux.
Bien sûr, à l’adolescence, ils vont naviguer eux-mêmes et choisir leurs influenceurs, ce qui peut parfois déstabiliser les parents. Si l’enfant peut en parler sans être immédiatement condamné par le parent, si le parent écoute et tente de comprendre pourquoi cette personne est importante pour son enfant, alors le dialogue est possible.
Enfin, on peut garder à l’esprit que tous les influenceurs ne sont pas des gens terribles ! Fred et Jamy étaient des influenceurs d’une certaine façon ! Ils ont contribué à développer l’intérêt pour les sciences chez beaucoup d’enfants. Il ne s’agit pas de dramatiser mais d’éduquer, de laisser le dialogue ouvert.

 


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Marika Bourdaloue-Pollet est psychologue clinicienne et membre de la société psychanalytique de Paris.

 

 


 

Pour aller plus loin

Que dit la loi ?

Deux lois importantes régulent l’usage des réseaux sociaux, notamment pour protéger les mineurs :

La loi du 9 juin 2023 donne une définition des influenceurs. Il s’agit des personnes qui, contre rémunération ou avantages, « mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer » en ligne « des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque« .

Cette loi contient également des mesures spécifiques pour mieux protéger les enfants influenceurs et renforce les obligations des plateformes en ligne en matière d’information et de signalement des contenus illicites.

Elle interdit également la promotion de certains produits ou pratiques, comme la chirurgie esthétique, l’abstinence thérapeutique ou les sachets de nicotine. Il devient également obligatoire de porter une mention « publicité » ou « image retouchée » lorsque c’est le cas.

Source : https://www.vie-publique.fr/loi/288793-loi-influenceurs-proposition-de-loi-delaporte-vojetta

 

La loi du 19 février 2024 visant elle à garantir le respect du droit à l’image des enfants permet au juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent. Cette loi précise également que « les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité », comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.

En outre, la loi renforce le droit à l’oubli en autorisant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à saisir le juge des référés pour demander « toute mesure de sauvegarde des droits de l’enfant en cas d’inexécution ou d’absence de réponse à une demande d’effacement de données personnelles ».

Il ne s’agit donc pas d’interdire la publication de photos de ses enfants mais bien de l’encadrer. Pour le faire en toute sécurité et éviter les dérives, la CNIL publie des recommandations concrètes sur les bonnes pratiques à adopter :

1) Privilégiez le partage par messagerie instantanée, par courriels ou par MMS : certaines messageries vous permettent d’envoyer des messages éphémères. De plus demandez à votre destinataire de ne pas partager lesdites photos.
2) Sollicitez l’accord de votre enfant et de l’autre parent avant toute publication
3) Évitez le partage de vos photos et vidéos et floutez le visage de votre enfant
4) Sécurisez votre compte et réduisez la visibilité de vos publications : réglez de préférence vos comptes sur les réseaux sociaux en compte privé
5) Faites régulièrement le tri dans vos photos/vidéos et vos abonnés : vous pouvez créer des catégories sur les réseaux sociaux (ami, proches) qui seront les seuls destinataires de vos photos/vidéos.

Source : https://www.leolagrange-conso.org/le-sharenting-une-pratique-risquee-desormais-encadree/

 

À lire

« Les réseaux sociaux, comment ça marche », d’Emmanuel Trédez, éditions Fleurus

« La merveilleuse machine à se faire des amis », de Nick Bland, éditions Scholastic

« Papa est connecté », de Philippe de Kemmeter, La Martinière jeunesse

 

À découvrir

L’étude de la fondation E-enfance sur l’usage des réseaux sociaux par les enfants

La loi de 2020 sur la protection des enfants influenceurs