Lutter contre la violence éducative ordinaire

Si la fessée ou les claques sont aujourd’hui interdites en France, de nombreux parents continuent d’exercer des formes de violences physiques ou psychologiques sur leurs enfants, parfois sans même en avoir conscience. Jean-Pierre Thielland, président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire, s’inquiète de l’impact de ces violences sur le développement de nos enfants et appelle à une prise de conscience générale des parents et des pouvoirs publics.

Qu’est-ce que la violence éducative ordinaire ?

C’est un ensemble de pratiques considérées comme éducatives et qui, selon l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO), portent atteinte à l’intégrité physique et psychique des enfants. Elle est pratiquée dans 80% des familles. Les violences physiques vont des tapes sur la main d’un enfant qui, marchant à quatre pattes, commence à toucher à tout, jusqu’aux fessées, claques, tirage de cheveux, tirage d’oreilles, coups de pieds… Les violences psychiques sont le fait de faire peur à son enfant, de crier, de se moquer de lui, de mépriser ce qu’il dit, de lui faire honte, de le culpabiliser, ou encore de lui faire du chantage affectif.

Une grande partie de ces violences est encore banalisée en France. On assiste à un phénomène de déni de ces violences et de minimisation de leur impact. Pourtant, ces violences sont interdites par la loi. Le code civil dit que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ».

Quel est l’impact de ces violences sur les enfants ?

Le premier risque, c’est que l’enfant se sente en insécurité. Les parents sont une base de sécurité pour l’enfant, et ce quel que soit son âge : il va avoir besoin de se rassurer auprès de ses parents. On dit que le parent est une « figure d’attachement sécure ». Cela veut dire que c’est à partir de cette figure sécurisante et rassurante que l’enfant va pouvoir partir explorer le monde et faire de nouveaux apprentissages.

La violence éducative ordinaire vient fragiliser ce lien : l’enfant perd son sentiment de sécurité, cette violence bouleverse ses repères. Sa capacité à explorer le monde extérieur, à prendre des risques pour découvrir des choses nouvelles, va être altérée. Il va donc avoir moins confiance en lui.

Deuxièmement, les enfants vont s’empêcher d’exprimer certaines émotions. Ils n’ont pas vraiment le choix : ils doivent s’adapter au seuil de tolérance de leurs parents. Donc quand un parent dit régulièrement à son enfant : « arrête de pleurer, je supporte plus de t’entendre ! », l’enfant risque d’apprendre à ne pas pleurer, pour s’éviter des représailles supplémentaires. Un enfant que je suivais m’avait dit « Moi, je ne pleure plus parce que ça n’arrange pas les choses ». Pourtant, les larmes sont nécessaires ! C’est une réaction physiologique normale, utile et positive.

Les enfants qui font face à la violence éducative ordinaire vont ainsi s’empêcher d’exprimer de nombreuses émotions, comme la colère, les larmes, ou même l’explosion de joie. Ce manque de repères émotionnels vaut pour eux mais aussi pour les autres : ils risquent, par exemple, de perdre leur sensibilité face à un autre enfant qui pleure. Ils peuvent aussi reproduire, dans la cour de récréation ou en classe, la violence vécue à la maison, par exemple en se moquant ou en étant violent avec les autres.

Comment en prendre conscience, en tant que parent ?

La prise de conscience chez les parents est rendue difficile par l’absence de communication sur la violence éducative ordinaire. Il y a peu d’information, peu de prévention : ce n’est pas considéré comme un sujet important par les pouvoirs publics.

Pour les parents qui en ont eux-mêmes été victimes, il est difficile de se départir de la violence. Certains parents vont dire : « J’ai reçu des claques et des fessées, et je n’en suis pas mort ! Au contraire, ça m’a fait devenir quelqu’un de bien ». C’est très difficile de remettre en cause certains éléments de l’éducation de nos parents. Pourtant, il est important de pouvoir prendre conscience de la violence qu’on a soi-même subie et de la nocivité de cette violence éducative. En d’autres termes, pouvoir se dire : « ils n’ont pas su faire autrement, mais ça m’a fait du mal ». Mais pour cela, il faut s’autoriser à avoir accès à ses propres émotions.

Certains parents disent qu’ils « ne savent pas faire autrement ». Mais l’enfant est un être humain à part entière qui a les mêmes droits que tout adulte. C’est donc presque absurde de se demander « Comment faire autrement qu’avec de la violence ? ». Comme tout être humain, il est interdit de violenter un enfant.

Que faire concrètement pour modifier nos pratiques une fois qu’on en a pris conscience ?

Je crois qu’il faut d’abord être attentif aux besoins de l’enfant et éviter tout ce qui altère sa sécurité.

Il est aussi important de lui faire confiance. Si votre enfant vous dit : « j’ai pas envie d’y aller » ou « j’ai pas envie de faire mes devoirs », vous pouvez lui demander ce qu’il se passe au lieu de vous dire qu’il est paresseux. L’idée est de changer de posture : on se dit qu’il a de bonnes raisons de ne pas s’y mettre et on en parle avec lui pour comprendre.

Ensuite, vous pouvez autoriser vos enfants à vous dire si ce que vous dites ou vous faites leur fait mal. Par exemple, dans une famille en difficulté que j’accompagnais, un enfant avait enfin réussi à dire à sa mère : « Je n’aime pas quand tu me dis : “Qu’est-ce que j’ai fait pour avoir un enfant pareil ?” ». C’était un soulagement.

Il faut sans doute dépasser cette peur qui consiste à penser qu’en faisant tout ça, les enfants vont prendre le pouvoir, qu’il n’y aura plus aucun cadre. C’est faux ! Il y a un cadre, mais un cadre rassurant et pas un cadre terrorisant.

On peut aussi chercher de l’aide ou des conseils auprès de professionnels. L’association « Pâtes au beurre », par exemple, accueille des parents qui viennent parler de leurs difficultés, sans jugement. Il existe aussi des groupes de parents dans de nombreuses villes. Dans ces espaces sécures, où l’on ne porte pas de jugement, les parents peuvent cheminer pour prendre conscience de ces violences.

Le confinement augmente-t-il les risques de violence éducative ?

À l’OVEO, nous avons beaucoup d’inquiétudes puisque ce confinement ne touche pas les familles de la même manière : les familles les plus précaires et les plus fragiles sont les plus impactées. Dans certaines familles, on n’est pas habitué à passer autant de temps ensemble.

Je crois qu’il faut faire attention au travail scolaire en confinement, qui peut provoquer des crises et de la violence. En famille, on a besoin d’être rassuré et en sécurité, pas d’être confronté à ses difficultés scolaires en face de ses parents. La période est anxiogène pour les enfants, et cela fragilise leur capacité à se concentrer sur le travail. C’est pour cela que l’OVEO a invité les parents à prendre du recul par rapport à ce qu’on leur demande de faire concernant l’école à la maison.

On peut vraiment s’adapter en fonction de la demande des enfants. Le maintien des liens avec la classe et l’enseignant est très important et intéressant. Mais transformer la maison en « école bis », ce n’est pas une très bonne idée ! Que les parents soient rassurés : ce n’est pas parce que vous ne leur faites pas des apprentissages strictement scolaires que vos enfants vont perdre pied !

On peut cuisiner, jouer, faire des choses ensemble : les enfants ne vont pas arrêter de réfléchir et d’apprendre ! On peut travailler sur des supports qui se rapprochent du travail scolaire mais sans obligation, avec du plaisir ! Vous pouvez par exemple proposer à vos enfants de fabriquer un journal, en écrivant, découpant, collant des choses. Et au retour en classe, il pourra le montrer à ses camarades.

Et en cas de crise à la maison, il ne faut surtout pas rester seul. Vous pouvez faire appel à des professionnels, par exemple en téléphonant au réseau « Parentalité créative » qui propose un numéro gratuit et confidentiel (0 974 763 963).

 


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Jean-Pierre Thielland est président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire. Il a été instituteur, enseignant en Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficultés, (RASED) et psychopédagogue en CMPP (Centre Médico-psycho-pédagogique).

 

 


Les ressources éducatives pour lutter contre la violence éducative ordinaire :

À lire :

  • Je peux la taper, elle est de ma famille, Jean-Pierre Thielland, éditions L’Instant présent
  • Le drame de l’enfant doué, Alice Miller, éditions PUF
  • La fessée, questions sur la violence éducative, Olivier Maurel, La Plage éditeur
  • Au cœur des émotions de l’enfant, Isabelle Filliozat, éditions Marabout

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