Parler de l’amitié entre enfants, avec Pascal Mallet

À l’école, au club de sports, dans le voisinage… En général, les enfants vont assez naturellement vers les autres et se font rapidement des amis. Mais c’est quoi, l’amitié, au juste ? Pourquoi c’est important pour notre enfant d’avoir des amis ? Et comment faire s’il a des difficultés pour aller vers les autres ? On fait le point avec Pascal Mallet, professeur de psychologie du développement à l’Université Paris Nanterre.

 
Comment définir l’amitié ?

Ce qui définit en priorité l’amitié, c’est le choix. On choisit ses amis, c’est-à-dire qu’on choisit les personnes qu’on va connaître mieux, les personnes avec qui on va passer plus de temps. Choisir nos amis, c’est choisir ceux avec qui on va partager des activités, des valeurs, des pensées. Ces amis vont donc avoir le rôle d’influenceurs de proximité et être choisis.

Un autre des critères, c’est la réciprocité : la relation d’amitié doit aller dans les deux sens.

Être ami, c’est aussi partager l’empathie : on va se mettre à la place de l’autre et partager ses sentiments, ses émotions.

Enfin, l’amitié est gratuite et n’a pas de but en elle-même. On ne devient pas ami avec quelqu’un parce qu’on a envie de jouer dans sa belle et grande maison par exemple, ou pas seulement.

À quel âge peut-on parler d’amitié ?

Pendant longtemps, on a considéré que l’amitié ne pouvait apparaître qu’à l’adolescence, ce qui a été démenti depuis. Les recherches des quarante dernières années montrent qu’on observe des relations d’amitié dès la crèche : deux enfants qui passent leur temps ensemble, qui ont des émotions positives ensemble, et pour lesquels cette préférence réciproque est stable dans le temps. Cela peut exister dès cet âge. Mais cela ne concerne pas tous les enfants.

Cela devient de plus en plus fréquent au cours des années d’école maternelle et à l’école élémentaire, c’est la règle. Au plus jeune, âge, ce qui va compter le plus pour les enfants, c’est d’avoir des amis avec qui faire des activités. Mais plus on s’approche de la fin de l’école élémentaire et plus l’enfant va être capable de réaliser qu’un ami, c’est quelqu’un qui le comprend et qu’il comprend et que c’est pour cette raison-là qu’ils ont un lien plus fort.

La notion d’intimité de leur relation interpersonnelle va être perçue intuitivement par l’enfant même s’il n’est pas forcément capable de la verbaliser à cet âge : il comprend qu’il peut partager des secrets avec certaines personnes et pas avec d’autres, par exemple, donc que ces personnes ont vraiment pour lui une place spéciale.

Pourquoi les amitiés filles-garçons sont-elles difficiles ?

Dès la fin de la maternelle et à l’entrée au CP, la ségrégation des sexes apparaît : les garçons interagissent majoritairement entre eux et les filles entre elles. Filles et garçons restent parfaitement capables de jouer et interagir ensemble, mais ils ont le souci de jouer à des jeux dont ils pensent qu’ils sont typiques de leur sexe et qu’ils ne conviennent pas aux enfants de l’autre sexe, ce qui les amène à chercher à n’interagir qu’avec des enfants de leur sexe. Les rôles sexués plus ou moins traditionnels font le reste, les garçons vont se diriger vers certains types d’activités (ballons, jeux d’action) et les filles vers d’autres (des activités en petits groupes, basées sur la confidence).

Ce n’est donc pas un rejet des pairs de sexe différent, mais la recherche d’interactions avec des enfants de même sexe que soi parce qu’elles leur donnent l’impression qu’ils se conduisent conformément à ce qui est attendu d’eux en tant que fille ou en tant que garçon. Et les parents peuvent renforcer cette ségrégation, lorsqu’ils disent par exemple à leur fils : « On ne va inviter que des filles à ton anniversaire car sinon vous ne pourrez pas jouer ensemble. »

Les parents ont-ils et doivent-ils avoir un rôle dans la construction des amitiés de leur enfant ?

D’une manière générale, c’est bien qu’ils ne se montrent pas intrusifs mais soucieux de partager avec leurs enfants les expériences de la journée, c’est-à-dire de ne pas seulement demander ce qu’il a appris à l’école ou s’il a bien compris sa leçon mais demander : « Avec qui as-tu mangé ce midi, avec qui as-tu joué à la recréation ? » Cela peut être un objet de discussion quotidien, ordinaire, une manière de montrer à son enfant qu’on s’intéresse à sa vie sociale et affective.

Se soucier des relations d’amitié de son enfant, c’est capital, car c’est une grande partie de sa vie de tous les jours et des joies et du réconfort qu’il y trouve.  Échanger avec lui sur ce point, c’est lui montrer qu’on accorde de l’importance à ce qu’il vit et à ses choix.

C’est aussi une bonne manière de prévenir d’éventuels actes de violence ou de manipulation entre enfants. Si l’enfant a une relation d’amitié qui pose problème, s’il en parle avec ses parents et que ceux-ci sont à l’écoute, le problème est déjà à moitié résolu : il comprend que les parents peuvent intervenir, auprès du maître ou de la maîtresse par exemple, et qu’il n’est pas tout seul. Il faut donc que les parents soient capables de recueillir cette confidence et d’agir, éventuellement.

Qu’apporte l’amitié aux enfants ?

L’amitié apporte beaucoup. Si on sait, sur le chemin de l’école, qu’on va y retrouver un ou plusieurs amis, on est de bonne humeur et la journée sera plus agréable. Ce qui fait qu’un enfant se sent bien à l’école, c’est bien sûr le goût d’apprendre, mais aussi le fait de ne pas être tout seul au milieu de la petite foule des autres enfants et d’y avoir des liens solides.

Pour l’enfant, l’amitié permet donc de se sentir à l’aise et de s’épanouir au sein d’un groupe et de développer des compétences sociales comme l’empathie, la loyauté, le respect de l’autre… 

Les recherches montrent que l’amitié a une fonction de protection : si l’on reçoit des moqueries mais que celles-ci ont lieu en présence de son meilleur ami, le taux de cortisol, qui permet de mesurer le stress, n’augmente pas, alors qu’en l’absence du meilleur ami c’est le cas.

Un enfant qui ne s’épanouit pas dans ses relations entre pairs va être inquiet, malheureux et sollicitera beaucoup plus ses parents, qui à un moment vont être dépassés parce qu’ils ne pourront pas offrir ce qu’offre une amitié quand on passe cinq jours par semaine au milieu d’autres enfants.

Que faire si mon enfant a du mal à créer des relations d’amitié ?

D’abord il est important que les parents s’en occupent vraiment et cela d’autant plus que l’enfant est grand : à la crèche ce n’est pas un problème, à l’école élémentaire ça l’est de plus en plus au fil des classes. Pourquoi n’a-t-il pas d’ami ? Est-ce parce que le climat de la classe ne le permet pas, par exemple du fait qu’un caïd flanqué de quelques acolytes ne permet pas aux affinités de s’exprimer et commande tout le monde ? Est-ce parce que, tout simplement, mon enfant n’est pas très sympa avec les autres, parce qu’il veut toujours s’imposer et qu’il n’est pas attentif à leurs sentiments ? Est-ce qu’il est déprimé, et par conséquent les autres n’ont pas envie de venir vers lui ? Les causes peuvent être multiples et il est important d’en parler pour les identifier.

Concrètement, on peut proposer à l’enfant d’inviter un camarade à venir jouer à la maison. Cela permet aussi d’observer ce qu’il se passe. On peut tenter de superviser à distance : discuter avec lui pour comprendre comment ça se passe à l’école, pourquoi par exemple il n’arrive pas à parler aux autres. Demander, s’il a essayé, ce qu’il s’est passé. L’aider à choisir un groupe qu’il voudrait intégrer. En discutant en confiance avec l’enfant, on va l’amener à comprendre et préciser ce qu’il se passe.

On peut aussi favoriser les contacts avec un autre groupe, dans un club de sport, au centre de loisirs. Si cela se passe bien dans cet autre espace, ça peut alors vouloir dire qu’il existe quelque chose qui bloque à l’école et on tentera alors de savoir quoi.

Enfin, on peut en parler aux professeurs à l’école pour avoir leur avis et tenter de trouver des solutions ensemble.

Est-ce aussi une manière de prévenir le harcèlement ?

Le harcèlement ne commence pas au collège, mais c’est là qu’il est plus fréquent car les adultes sont plus à distance des élèves et les réseaux sociaux sont plus présents. On peut déjà repérer à l’école élémentaire des situations de harcèlement et les facteurs qui vont faire que certains enfants risquent de devenir agresseurs ou victimes.

Certains enfants aimeraient se faire des amis mais ils n’y arrivent pas. Et c’est important de s’en soucier dès l’école primaire. Car, si à sept ou huit ans il n’y a pas encore de stigmatisation liée à cela, elle apparait rapidement en CM1 ou CM2 et les problèmes engendrés l’isolement en classe seront plus difficiles à résoudre qu’en CP.

Le meilleur paratonnerre contre le harcèlement est de réussir à bien s’entourer, avoir des vrais amis. Les recherches faites depuis une vingtaine d’années démontrent que le fait d’avoir au moins un ami de confiance, avec qui l’on a tissé une relation de qualité, peut permettre de prévenir les situations de harcèlement.


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Pascal Mallet est professeur de psychologie du développement à l’Université Paris Nanterre.


Les ressources éducatives pour accompagner votre enfant :

À lire

L’amitié entre enfants ou adolescents, une force pour grandir, de Pascal Mallet, éditions Armand Colin

Amitié, tout ce qui nous lie, de Heike Faller et Valerio Vidali, éditions du Sous-Sol

Le livre qui t’explique tout sur les copains, de Françoize Boucher, éditions Nathan

 

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